L'histoire du château
3 - La Restauration
de Viollet le Duc
Bien que n'ayant jamais
cessé d'être habité, Roquetaillade était en fort mauvais état lorsque
M. et Mme de Mauvesin en héritèrent en 1886. Leur richesse était
due à l'expansion vinicole du Second Empire. Ils décidèrent de faire
de Roquetaillade une demeure à la mesure de leur rang et de leurs
ambitions, recréant ainsi "un rêve médiéval capable de compléter
jusqu'au moindre détail le décor de leurs illusions". (Ph. Jullian).
Il ne faut pas oublier qu'avec le Second Empire commença un nouvel
âge d'or de l'industrie, du commerce et des arts. Toute la France
fut alors saisie d'une frénésie de bâtir et de restaurer. L e pays
se passionnait à nouveau pour le Moyen Age et plus particulièrement
le gothique, manifestant ainsi un retour vers le passé national.
Dans cette atmosphère de renouveau, Roquetaillade fut un cadre parfait
pour Viollet le Duc.
Rien d'étonnant à ce que la famille Mauvesin ait choisi Viollet
le Duc pour réaliser ses rêves. C'était non seulement l'architecte
le plus prestigieux de son temps, l'homme de Pierrefonds, de Carcassonne,
de Notre Dame de Paris, mais aussi le grand prêtre du retour au
Moyen Age. Selon lui, les changements entraînés par la Renaissance
italienne et le néo-classicisme avaient brisé l'évolution naturelle
du style gothique français. Son idéal était de permettre à cette
évolution interrompue de suivre normalement son cours.
Il élabora un projet et en confia la réalisation à un proche collaborateur,
l'architecte Edmond Duthoit. Les travaux commencèrent en 1866, avec
une interruption de 1870 à 1874 due à la guerre. Les deux architectes
travaillèrent en relation très étroite. On connaît les diverses
étapes de leur travail par les nombreuses notes rédigées par Mme
de Mauvesin, ainsi que par sa correspondance, conservées à Roquetaillade.
A Viollet le Duc reviennent la restauration du château lui-même,
la construction du grand escalier et sa décoration, ainsi que la
salle à manger avec tout son mobilier et son décor. Quant à Duthoit,
on peut certainement lui attribuer, mais toujours sous la direction
du maître, la décoration,
le mobilier de la chambre verte et celui de la chambre rose. La
chapelle est l'ouvre uniquement de Duthoit et se distingue par son
style "oriental" qui apporte une note d'exotisme sous le ciel bazadais.
Des écurie es et un parc devaient être les compléments indispensables
au grand projet. Les écuries furent effectivement construites, mais
le parc ne fut jamais terminé. On peut cependant encore en admirer
les arbres centenaires. De grands travaux furent aussi entrepris
au premier étage dans la salle synodale (rehaussement des plafonds
ainsi que de la cheminée, boiseries, mobilier), mais les décorations
et peintures ne purent être achevées. Les difficultés de l'époque
-guerre de 1870 et crise viticole - épuisèrent les Mauvesin vieillissants
et diminuèrent leurs revenus: " Nous serions si riches sans cette
énorme dépense". Le grand projet s'effondrait.
En dépit des querelles qui continuent à diviser archéologues et
architectes sur le principe même des restaurations de Viollet le
Duc, Roquetaillade reste unique. En effet c'est, à notre connaissance,
le seul témoin d'une restauration complète, touchant à la fois à
l'architecture, la décoration et le mobilier. Ce lien indissociable
entre architecture et décoration annonce William Morris et les arts
décoratifs anglais du début du siècle. Cette tendance se poursuivra
avec l'Art Nouveau qu'annoncent déjà certains motifs de ce décor.
Mais surtout, ce qu'il y a de plus étonnant dans Roquetaillade,
c'est que l'idée d'un tel ensemble ait germé dans l'esprit de deux
personnes. Comment imaginer que derrière ces murs austères se cache
une décoration intérieure d'une telle richesse ? Qu'on ait pu créer
un tel décor dans une telle demeure, voilà où est la part du rêve...
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