Description du château
Mais des dispositions,
toutes nouvelles alors, viennent modifier l'ancien système
défensif; d'abord l'ouvrage avancé 0 avec la plate-forme
M donnent des saillants considérables, qui battent les dehors
au loin, et flanquent le château du côté où
il est accessible de plain-pied; puis au ras de la contrescarpe
des fossés, au niveau de la crête des murs de contre-garde,
des embrasures pour du canon sont percées à rez-de-chaussée
dans les courtines et les étages inférieurs des tours;
les tours sont à peine engagées, pour mieux flanquer
les courtines. Si l'on en juge par l'ouverture des portes qui donnent
entrée dans les tours, les pièces mises ainsi en batterie
à rez-de-chaussée ne pouvaient être d'un gros
calibre. Quant aux couronnements, ils sont munis de chemins de ronde
saillants avec mâchicoulis et créneaux; mais les consoles
portant les parapets de la grosse tour cylindrique ne sont plus
de simples corbeaux de 0,30 c. à 0,40 c. d'épaisseur;
ce sont de gros encorbellements, des pyramides posées sur
la pointe, qui résistaient mieux au boulet que les supports
des premiers mâchicoulis. Les merlons des parapets sont percés
de meurtrières qui indiquent évidemment, par leur
disposition, l'emploi d'armes a feu de mains.
Voici
une vue cavalière de ce château, prise du côté
de l'entrée. On voit, dans cette figure, que les embrasures
destinées à l'artillerie à feu sont percées
dans les étages inférieurs des constructions, et suivent
la déclivité du terrain, de manière à
raser les alentours. Pour les couronnements des tours, la méthode
adoptée au XIVe siècle est encore suivie. La transition
est donc évidente ici, et le problème que les architectes
militaires cherchaient à résoudre dans la construction
des places fortes vers le milieu du XVe siècle pourrait être
résumé par cette formule : « Battre les dehors
au loin, défendre les approches par un tir rasant de bouches
à feu, et se garantir contre l'escalade par un commandement
très é1evé, couronné suivant l'ancien
système pour la défense rapprochée. »
Le donjon, couvert en terrasse et fortement voûté,
était fait aussi pour recevoir du canon à son sommet,
ce qui était d'ailleurs justifié par les abords qui,
d'un côté commandent le château.
Sous Louis XI, la ligue du Bien Public marqua le dernier effort
de l'aristocratie féodale pour ressaisir son ancienne puissance
; à cette époque, beaucoup de seigneurs garnirent
leurs châteaux de nouvelles défenses appropriées
à l'artillerie ; ces défenses consistaient principalement
en ouvrages extérieurs, en grosses tours épaisses
et percées d'embrasures pour recevoir du canon, en plates-formes
ou boulevards commandant les dehors.
Le château de Bonaguil nous a fait voir déjà
comment on avait cherché, vers le milieu du XVe siècle,
à munir d'artillerie une demeure féodale par certaines
dispositions de détail qui ne changeaient rien en réalité,
aux dispositions générales antérieures à
cette époque. II n'en fut pas longtemps ainsi, et les châtelains
reconnurent, à leurs dépens, que, pour protéger
leur demeure féodale, il fallait planter des défenses
en avant et indépendantes des bâtiments d'habitation
; qu'il fallait s'étendre en dehors, sur tous les points
saillants, découverts, afin d'empêcher l'ennemi de
placer ses batteries de siège sur quelque plateau commandant
le château.
Texte d'Eugène
Viollet le Duc
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