Description du
château
1 - Situation
géographique
Au-dessous
de Mantes, la Seine coule vers l'ouest ; à Rolleboise, elle
se détourne vers le nord-est, forme un vaste coude, revient
vers le sud-ouest, et laisse ainsi, sur la rive gauche, une presqu'île
d'alluvions dont la longueur est environ de huit kilomètres
et la plus grande largeur de quatre. La gorge de cette presqu'île
n'a guère que deux kilomètres d'ouverture. C'était
là un lieu de campement excellent, car un corps d'armée,
dont la droite était appuyée à Bonnières
et la gauche à Rolleboise, défendait sans peine l'entrée
de la presqu'île. Mais il fallait prévoir qu'un ennemi
en forces, en attaquant la gorge, pouvait, en filant le long de
la rive droite, essayer de passer la Seine à l'extrémité
de la plaine de Bonnieres et prendre ainsi la presqu'île par
ses deux points les plus distants. Or la rive droite, en face de
la presqu'île de Bonnières, se compose d'un escarpement
crayeux, abrupt, qui se rapproche de la Seine à Vétheuil,
pour la quitter à la Roche-Guyon au sommet de son coude.
Sur ce point, à la Roche-Guyon, l'escarpement n'est éloigné
du fleuve que de cent mètres environ ; autrefois il en était
plus rapproché encore, la Seine ayant reculé ses rives.
2 - Description
du site
C'est là qu'à
la fin du XIe siècle fut élevé un château
dans des conditions excellentes. D'abord un donjon très fort
entouré d'une double enceinte fut élevé au
sommet de l'escarpement. Le long du fleuve et adossé à
la roche qui le domine de beaucoup, se dressa le château qui
coupait la route passant sur la rive droite, commandait le cours
du fleuve et, par conséquent, le sommet de la presqu'île.
Afin de rapprocher autant que possible le château du donjon,
l'escarpement de craie fut taillé à pic, de manière
à laisser une cour assez vaste entre le bâtiment principal
et le pied du rocher. Un large souterrain détourné,
taillé dans le roc et ayant la figure d'un cylindre avec
emmarchement, réunit les défenses du château
à la cour intérieure du donjon. Du côté
où l'escarpement était moins abrupt, fut tranché,
dans le roc vif, un large et profond fossé à fond
de cuve. Un fossé moins profond, mais beaucoup plus étendu,
contourna le plateau sur l’extrémité duquel
est assis le donjon ; mais comme ce plateau n'était pas de
niveau et qu'il dominait le donjon en s'enfonçant dans la
chaîne crayeuse, on fit une motte factice sur laquelle (probablement)
s'éleva une défense, détruite aujourd'hui.
Les escarpements naturels devaient ôter toute idée
d'attaquer le plateau par ses côtés. Nous ne pensons
pas que le fossé et l'escarpement aient jamais été
protégés par des murailles, mais seulement par une
levée de terre avec palissades, car il ne reste sur ces points
nulle trace de maçonneries.
Afin de faire mieux
comprendre encore l'assiette du château de la Roche-Guyon,
et comment, par des ouvrages considérables, on était
parvenu à rendre cette assiette encore plus forte, soit en
entaillant la colline, soit en faisant des terrassements, nous donnons
un profil de l'escarpement de craie avec les constructions. En A
est la Seine, en B le château bâti au pied de la falaise,
en C le donjon, dont les enceintes s'élèvent en suivant
la pente naturelle du plateau pour dominer les dehors du côté
D. En E, la motte faite à main d'homme, sur laquelle était
un ouvrage avancé commandant la circonvallation du plateau
; le profil du souterrain communiquant du château au donjon
est tracé en H. On ne pouvait entrer, du plateau, dans les
enceintes du donjon que par une poterne percée sur le flanc
de la courtine extérieure de droite et faisant face à
l'escarpement, de manière qu'il était impossible de
voir cette entrée soit du plateau, soit du bas de l'escarpement
Notre profil fait comprendre comment il était difficile à
un assiégeant de se tenir dans le château inférieur
sans
posséder en même temps le donjon supérieur ;
si, après s'être emparé du château, il
eût voulu s'y loger, il était infailliblement écrasé
par la garnison du donjon. Quant à s'emparer du donjon, enveloppé
dans sa double enceinte, on ne pouvait le tenter que par un blocus.
Mais comment bloquer une forteresse qui possédait une issue
souterraine très praticable communiquant avec une défense
inférieure commandée et une large rivière ?
Sous le rapport stratégique, la position du château
de la Roche-Guyon était donc excellente et évidemment
choisie pour garder cette presqu'île de Bonnière si
facile à défendre à la gorge. Deux ou trois
mille hommes dans la presqu'île et quatre ou cinq cents hommes
dans le château et ses dépendances s'appuyant mutuellement,
quoique séparés par la Seine, pouvaient arrêter
une armée considérable et paralyser ses mouvements
sur l'une ou l'autre rive de la Seine.
Texte Eugène
Viollet le Duc
3 - Le donjon
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