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              Description du château 
              
            Dans son « 
              Dictionnaire raisonné d’architecture médiévale 
              », l’architecte français Eugène Viollet 
              le Duc décrit avec un soin méticuleux l’incroyable 
              forteresse de Vincennes. Nous laissons la parole à cet expert 
            1 - Les courtines 
              et les tours de flanquement 
            Sous Charles V on 
              modifia l'ancien dispositif défensif. On possédait 
              déjà de petites pièces d'artillerie, qui permettaient 
              d'allonger les fronts, d'éloigner les flanquements par conséquent. 
              On avait reconnu que les fronts courts avaient l'inconvénient, 
              si les deux flancs voisins avaient été détruits, 
              de défiler l'assaillant et de ne lui présenter qu'un 
              obstacle peu étendu, contre lequel il pouvait accumuler ses 
              moyens d'attaque. Aussi était-ce toujours contre ces courtines 
              étroites, entre deux tours, que les dernières opérations 
              d'un siège se concentraient, dès qu'au préalable 
              on était parvenu à ruiner les défenses supérieures 
              des tours par le feu, si elles se composaient de hourds, ou par 
              de gros projectiles, si les galeries des mâchicoulis étaient 
              revêtues d'un manteau de maçonnerie. Vers 1360, les 
              courtines furent donc allongées ; les tours furent plus espacées, 
              prirent une plus grande surface, eurent parfois des flancs droits, 
              - c'est-à-dire que ces tours furent bâties sur plan 
              rectangulaire,- et furent couronnées par des plates-formes. 
              Le château de Vincennes est une forteresse type conforme à 
              un nouveau dispositif. Le plan bien connu de cette place présente 
              un grand parallélogramme flanqué de quatre tours rectangulaires 
              aux angles, d'une tour (porte) également rectangulaire au 
              milieu de chacun des petits côtés, de trois tours carrées 
              sur l'un des grands côtés, et par le donjon avec son 
              enceinte sur l'autre. 
               
              Les courtines entre les tours ont environ 100 mètres de long, 
              ce qui dépasse la limite des anciennes escarpes flanquées. 
              Les tours d'angles sont plantées de telle façon, que 
              leurs flancs sont plus longs sur les petits côtés du 
              parallélogramme que sur les grands, afin de mieux protéger 
              les portes. 
              
            Les tours d'angles 
              sont dotées de gros contreforts reposant sur un talus montant 
              jusqu'à la corniche supérieure, qui n'est qu'une suite 
              de larges mâchicoulis. Les trois étages étaient 
              voûtés, et sur la dernière voûte reposait 
              une plate-forme dallée, propre à recevoir, ou de grands 
              engins, ou des bouches à feu. Un crènelage protégeait 
              les arbalétriers. 
               
              Vers la seconde moitié du XIVe siècle, on revint aux 
              commandements considérables des tours sur les courtines, 
              avec l'intention évidente de faire servir ce commandement 
              au placement d'engins à longue portée. La voûte 
              supérieure, couverte d'un épais blindage de cran (poussière 
              produite par la taille de la pierre et utilisée comme matière 
              « tampon ») sous le dallage, résistait à 
              tous les projectiles lancés à la volée, en 
              supposant que ces projectiles aient pu s'élever assez haut 
              pour retomber sur la plate-forme. La tour ne se défend absolument 
              que du sommet, soit par les engins de position, soit, contre l'attaque 
              rapprochée, par les crènelages et mâchicoulis. 
               
            2 - Considérations 
              sur l’évolution des hauteurs de murailles 
            Il est curieux de 
              suivre pas a pas, depuis l'Antiquité, ce mouvement d'oscillation 
              constant, qui, dans les travaux de défense, tantôt 
              fait donner aux tours ou flanquements un commandement sur les courtines, 
              tantôt réduit ce commandement et arasé le sommet 
              des tours au niveau des courtines. De nos jours encore (au XIXe 
              siècle donc) ces mêmes oscillations se font sentir 
              dans l'art de la fortification, et Vauban lui-même, vers la 
              fin de sa carrière, après avoir préconisé 
              les flanquements de niveau avec les courtines, était revenu 
              aux commandements élevés sur les bastions. C'est qu'en 
              effet, quelle que soit la portée des projectiles, ce n'est 
              la qu'une question relative, puisque les conditions de tir sont 
              égales pour l'assiégé comme pour l'assaillant. 
              Si l'on supprime les commandements élevés, on découvre 
              l'assaillant de moins loin, et on lui permet de commencer de plus 
              près ses travaux d'approche ; si l'on augmente ces commandements, 
              on donne une prise plus facile à l'artillerie de l'assiégeant. 
              Aussi voyons-nous, pendant le Moyen Age, et principalement depuis 
              l'adoption des bouches à feu, les systèmes se succéder 
              et flotter entre ces deux principes. D'ailleurs une difficulté 
              surgissait autrefois comme elle surgit aujourd'hui. 
               
                
              Le tracé d'une place en projection horizontale peut être 
              rationnel, et ne plus l'être en raison des reliefs. Avec les 
              commandements élevés, on peut découvrir au 
              loin la campagne, mais on enfile les fossés et les escarpes 
              par un tir plongeant qui ne produit pas l'effet efficace du tir 
              rasant. Il faut donc réunir les deux conditions. Le château 
              de Vincennes fut donc, pour le temps où il fut élevé, 
              une tentative dont peut-être on n'a pas apprécié 
              toute l'importance. L'architecte constructeur des défenses 
              a prétendu soustraire les tours à l'effet du tir parabolique, 
              en leur donnant un relief considérable, et il a prétendu 
              utiliser ce commandement, inusité alors, pour le tir des 
              nouveaux engins à feu, et des grands engins perfectionnés, 
              tels que les mangonneaux et trébuchets.  
               
              Sous le règne de Charles V, on ne trouve nulle part, en France, 
              en Allemagne, en Italie, en Angleterre ou en Espagne, un second 
              exemple de la disposition adoptée pour la construction du 
              château de Vincennes. C'est une tentative isolée qui 
              ne fut pas suivie. En voici la raison : alors (de 1365 à 
              1370) on commençait à employer des bouches à 
              feu d'un assez faible calibre, ou des bombardes de fer courtes, 
              frettées, propres a lancer des boulets de pierre à 
              la volée, ainsi que pouvaient le faire les engins à 
              contrepoids. On ne croyait pas que la nouvelle artillerie à 
              feu remplacerait un siècle plus tard ces machines encombrantes, 
              mais dont le tir était très précis et l'effet 
              terrible jusqu'à une portée de 150 a 200 mètres. 
              L'artillerie à feu usitée vers la fin du XIVe siècle 
              dans les places, consistait en des tubes de fer qui envoyaient des 
              balles de deux ou trois livres au plus, ou même des cailloux 
              arrondis. Ces engins remplaçaient avec avantage les grandes 
              arbalètes, et pouvaient être mis en batterie derrière 
              les merlons des tours. 
               
              II y avait donc intérêt à augmenter le relief 
              de ces tours, car le tir de plein fouet étant faible, plus 
              on l'élevait, plus il pouvait causer de dommages aux assiégeants. 
              D'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, il 
              était important de soustraire le sommet de ces tours aux 
              projectiles lancés à la volée par les anciens 
              engins. Les courtines devaient, relativement, n'avoir qu'un relief 
              moindre, afin de poster les arbalétriers qui envoyaient leurs 
              carreaux de but en blanc à 60 mètres environ. Les 
              machines et bouches à feu des plates-formes des tours couvraient 
              la campagne de gros projectiles dans un rayon de 200 mètres, 
              et tenant ainsi les assiégeants à distance, les courtines 
              se trouvaient protégées jusqu'au moment où, 
              par des travaux d'approche, les assaillants arrivaient à 
              la crête du fossé. Dans ce dernier cas, les arbalétriers 
              des courtines en défendaient l'approche et ceux des tours 
              prenaient en flanc les colonnes d'assaut par un tir plongeant. 
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