Description du château
2 - Les Considérations
sur l’évolution des hauteurs de murailles (p2)
Mais bien que les progrès de l'artillerie a feu fussent lents,
cependant, a la fin du XIVe siècle, les armées assiégeantes
commençaient à mettre des bombardes en batterie. Celles-ci,
couvertes par des épaulements et des gabionnades, n'avaient
pas à redouter beaucoup les rares engins disposés
au sommet des tours, concentraient leur feu sur les courtines relativement
basses, écrêtaient leurs parapets, détruisaient
leurs mâchicoulis, rendaient la défense impossible,
et l'assiégeant pouvait alors procéder par la sape
pour faire brèche. Les commandements élevés
des tours devenaient inutiles dès que l'ennemi s'attachait
au pied de l'escarpe.
Vers 1400, on changea donc de système, on éleva les
courtines au niveau des tours ; la défense bâtie fut
réservée pour l'attaque rapprochée, et en dehors
de cette défense on éleva des ouvrages avancés
sur lesquels on mit les bouches a feu en batterie. Celles-ci furent
donc réservées pour garnir ces ouvrages bas, étendus,
battant la campagne, et la forteresse ne fut plus qu'une sorte de
réduit uniquement destiné à la défense
rapprochée.
Nous voyons, en effet, que les châteaux bâtis à
cette époque établissent les défenses des courtines
presque au niveau de celles des tours, ne laissant à celles-ci
qu'un commandement un peu plus élevé, pour la surveillance
des dehors, et que beaucoup de vieilles courtines des XIIIe et XIVe
siècles sont relevées jusqu'au niveau des chemins
de ronde des tours. On renonçait complètement alors
à mettre des pièces en batterie sur ces tours ; les
plates-formes disparurent pour un temps, et l'artillerie à
feu ne fut employées par les défenses que pour balayer
les approches.
3 - La chapelle
Saint
Louis ne fut pas le seul roi de France qui éleva des saintes
chapelles. Le vaste château de Vincennes, commencé
par le roi Philippe, était achevé, au point de vue
militaire, sous Charles V. Son fils commença, sur de grandes
proportions, la construction d'une Sainte-Chapelle, au milieu de
son enceinte. Charles VI éleva le bâtiment vers l'abside
jusqu'aux corniches supérieures, dans la nef jusqu'aux naissances
des archivoltes des fenêtres, et sur la façade jusqu'au
dessous de la rose. Les malheurs de la fin de ce règne ne
permirent pas de continuer l'édifice, qui resta en souffrance
pendant un siècle. François Ier reprit les constructions
vers 1525, elles ne furent achevées que sous Henri II. Les
deux sacraires et le trésor à deux étages annexés
a la chapelle étaient terminées a la fin du XIVe siècle
ou au commencement du XVe. Deux époques bien distinctes ont
donc concouru à l'édification de la Sainte-Chapelle
de Vincennes, et cependant, au premier abord, ce monument présente
une grande unité. Les architectes de la Renaissance chargés
de l'achever ont, autant qu'il était possible a cette époque,
cherché à conserver l'ordonnance de l'ensemble, le
caractère des détails. II faut examiner la sculpture,
reconnaître les dégradations causées aux parties
supérieures des constructions laissées inachevées
pendant un siècle, par les pluies et la gelée, pour
trouver les points de soudure des deux époques.
Ce sont d'abord deux oratoires à double étage ayant
vue sur le sanctuaire par deux petites ouvertures biaises. A la
suite, à droite, un escalier conduisant à l'étage
supérieur de l'oratoire, aux terrasses et aux combles. A
gauche, la sacristie avec son trésor, également à
deux étages, le trésor ayant, comme à la Sainte-Chapelle
du Palais, la forme, en plan et en élévation, d'une
petite chapelle. Un escalier particulier conduit au premier étage
du trésor et au comble.
Il est vraisemblable que l'oratoire construit par Louis XI entre
deux des contreforts de la Sainte-Chapelle de Paris, pendant la
seconde moitié du XVe siècle, est une imitation de
ceux de la Sainte-Chapelle de Vincennes, cette disposition ayant
paru plus commode que celle adoptée par saint Louis, et ne
consistant qu'en deux renforcements dans l'épaisseur de la
muraille. Le roi, la reine se trouvaient ainsi séparés
des assistants et voyaient le prêtre à l'autel sans
être vus.
A Vincennes, une tribune large est portée par une voûte
au-dessus de l'entrée; elle occupe toute la première
travée. A Paris, cette tribune n'est qu'une simple galerie
d'un mètre de largeur tout au plus. Les statues des apôtres
et de quatre anges, derrière l'autel, étaient, à
Vincennes comme à Paris, adossées aux piliers, à
la hauteur de l'appui des fenêtres supportées par des
culs-de-lampe et surmontées de dais. Les murs d'appui sous
les meneaux n'étaient point décorés d'arcatures
à Vincennes, mais probablement garnis autrefois de bancs
en bois avec des tapisseries. Les fenêtres de l'abside ont
seules conservé leurs vitraux, qui sont peints, au XVIe siècle,
par Jean Cousin et représentent le Jugement dernier. Parmi
les vitraux de la Renaissance, ceux-ci peuvent prendre le premier
rang ; ils sont bien composés et d'une belle exécution.
Le comble de la Sainte-Chapelle de Vincennes, construit en bois
de chêne, est combiné avec une grande perfection ;
il ne fut jamais surmonté que d'une flèche fort petite
et simple, qui n'existe plus. Si la Sainte-Chapelle de Vincennes
couvre une superficie plus grande que celle de Paris, elle est loin
de présenter en coupe une proportion aussi heureuse. Sous
clef, la Sainte-Chapelle du Palais a un peu plus de deux fois sa
largeur, tandis que celle de Vincennes n'a, du sommet de la voûte
au pavé, que les neuf cinquièmes de sa largeur. A
ce sujet, qu'il nous soit permis de faire remarquer combien on se
laisse entraîner à propager les erreurs les plus faciles
à constater cependant, lorsqu'on parle des édifices
de l'époque ogivale. On veut toujours que ces édifices
affectent des proportions élancées, et qu'ils aient
des hauteurs exagérées relativement a leur base ;
d'une part, on loue les architectes de ces temps d'avoir ainsi accumulé
des matériaux sur une base étroite ; d'autre part,
on les blâme. Or ces monuments ne méritent ni cette
louange ni ce blâme ; les rapports de leur hauteur avec leur
largeur sont ceux que, de tous temps, on a donné aux édifices
voûtés : une fois et demie, deux fois la largeur. S'ils
adoptent des proportions plus sveltes, c'est pour prendre des jours
au-dessus des collatéraux, lorsqu'ils en possèdent.
Ce dont il faut louer ou blâmer les architectes du Moyen Age,
suivant les goûts de chacun, c'est d'avoir eu le mérite
ou le tort de faire paraître les intérieurs de leurs
édifices beaucoup plus élevés qu'ils ne le
sont réellement.
Texte d'Eugène
Viollet le Duc
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