L'histoire des Remparts
1 - Les origines d'Aigues Mortes
Si
on est fixé assez exactement sur la formation géologique du territoire
d'Aigues-Mortes, on l'est beaucoup moins sur les origines de ses
premiers habitants et sur l'époque approximative à laquelle
ils vinrent se fixer dans le pays.
Jusqu'au commencement du XIXe siècle, une vieille tradition en attribuait
la fondation à Marins, ce général romain qui, 102 ans avant notre
ère, avait établi son camp sur les bords du Rhône et, pour la facilité
de son ravitaillement avait fait creuser un canal désigné
sous le nom de Fossé Marian ou Fossé de Marins. On prétendait
que l'agglomération qui s'était formée à l'embouchure du canal de
Marins était, devenue la ville d'Aigues- Mortes. Or, il a été démontré
péremptoirement, que le camp de Marins se trouvait sur la rive gauche
du grand Rhône, et que la bourgade établie à l'extrémité de la Fossie
Marienne, était le petit village de Fos, non loin de Marseille.
Certains auteurs, sans s'appuyer sur aucun texte, se basant simplement
sur sa position topographique, ont considéré Aiguës-Mortes comme
une création de l'abbaye de Psalmodi.
Cette abbaye, dont la fondation remonterait au Ve siècle, et dont
le monastère a été pillé et incendié par les Sarrazins aux IXe et
Xe siècles, se trouvait, au moment des Croisades, propriétaire du
territoire sur lequel s'élevait la bourgade d'Aigues-Mortes, territoire
qu'elle céda au roi Louis XI par l'échange d'un autre domaine ;
ce qui me prouve pas que cette bourgade n'existait pas déjà, lorsque
les moines se sont établis a Psalmodi. II semblerait plutôt, que
la fondation d'Aigues-Mortes doive remonter à l'origine des salins
de Peccais. Il faut bien admettre, en effet, que l'exploitation
de salins aussi importants que ceux de Peccais, à une époque où
le machinisme était absolument inconnu, nécessitait, sur place ou
à proximité, une population suffisante pour fournir la main-d'uvre
indispensable aux divers travaux des salins, et pour les réparations
urgentes en cas de dégradations par les eaux du Rhône ou de la nier.
Or, on est absolument certain que les salins de Peccais n'ont pas
été créés par les moines.
D'après divers auteurs, du XVIIIe siècle, une colonie grecque de
l'île de Rhodes, serait venue, quatre ou cinq siècles avant notre
ère, se fixer à une embouchure du Rhône, attirée sur cette plage
par la douceur du climat et le commerce des sels, et y aurait fondé
une ville du nom de Rhoda, à l'endroit où se trouve Peccais, près
d'Aiguës-Mortes. Si cette ville a disparu sans laisser de traces,
les salins, eux, existent et rien ne prouve qu'ils n'ont pas été
créés par cette colonie de Rhodiens.
D'autre part, diverses monnaies et médailles découvertes sur son
territoire attestent le séjour des Romains dans la campagne d'Aigues-Mortes
; deux de ces médailles possédées par la famille Teissier, sont
décrites dans un inventaire des Archives : l'une de Néron, rappelle
une victoire sur les Arméniens, l'an 58 de notre ère ; l'autre de
Valons, est du lVe siècle. Mais, s'il est pour l'instant impossible
de citer des textes plus précis, affirmant l'existence d'Aigues-Mortes
à une date aussi reculée, nous avons la preuve que le port et la
bourgade d'Aigues-Mortes ou des Eaux-Mortes existaient bien avant
que saint Louis n'en ait fait l'acquisition des moines de Psalmodi
en 1248. En effet, divers actes des Xe, XIe et XIIe siècles, cités
par Pagezy, font mention de l'église Sainte-Agathe qui se trouvait
sur la rive du Petit-Rhône, non loin d'Aigues Mortes ; d'autres
actes du XIIIe siècle, cités par le même auteur, ont trait à la
vente par un sieur Pons Reynoard Meynes des pâturages de Listel
à l'Ordre des Templiers pour le prix de 200 sols melgoriens.
C'est sur ce terrain se trouvait l'église de Saint-Clément, près
du grau de la Chèvre. Si ces documents n'indiquent pas l'emplacement
exact de la bourgade qui a été le berceau de la ville d'Aigues-Mortes,
ils démontrent tout de même que le pays était habité depuis longtemps.
Divers auteurs signalent également le départ pour la Syrie, en 1235,
d'un navire appelé " Le Paradis", chargé à Aiguës-Mortes de marchandises
diverses dont un lot de toiles de Flandre. Enfin, en 1239, une petite
croisade conduite par Thibaut IV, roi de Navarre et comte de Champagne,
s'embarqua dans le port d'Aigues-Mortes pour les Lieux Saints. L'existence
du port et de la bourgade d'Aigues-Mortes est donc incontestable
; la population devait être déjà suffisamment importante pour fournir
la main d'uvre nécessaire aux travaux du port et à l'exploitation
des salins
D'une enquête faite en 1298, il ressort qu'avant saint Louis le
port était entièrement libre, et qu'il n'y avait dans le pays, ni
tour, ni pierre. Il faut donc admettre que, en raison de l'éloignement
des carrières et des difficultés de transport, la population primitive
construisait son logement et abritait les marchandises qui stationnaient
sur le port, avec les matériaux qu'elle avait sous la main : le
bois des pinèdes et les roseaux des marais. Il n'y avait aucune
administration. Les moines de Psalmodi se chargeaient de la police
et percevaient la dîme. Et cette dîme s'élevait parfois au quart
des oiseaux et des poissons pris sur les étangs, marais et autres
eaux du territoire.
Les habitants se nourrissaient presque exclusivement de poisson
frais et salé ; le pain était inconnu, il n'y avait pais de four.
Le sol, absolument inculte ; le territoire entièrement composé,
en dehors des marécages, de sable mouvant, de dunes couvertes de
pins ou de baisses salées, ne pouvait fournir aucun produit frais
: fruits ou légumes. Aucun herbage permettant l'élevage des
bestiaux. La population isolée, ne communiquant que très difficilement
avec les communautés voisines, menait une existence précaire et
misérable. Nous allons voir que, par la suite, malgré les franchises
et privilèges accordés par saint Louis, maintenus et confirmés par
ses successeurs, même aux périodes de grande prospérité du port,
la situation ne s'est guère améliorée et que, jusqu'au XIXe siècle,
les générations qui se sont succédées ont toujours été décimées
par les maladies et la misère.
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