L'histoire des Remparts
6 - La construction
des Remparts
Philippe
le Hardi, fils et successeur de saint Louis, ne tarda pas à exécuter
la promesse que son père avait faite, d'entourer la ville d'une
ceinture de remparts. Au mois de mai 1272, de passage à Marnande,
il signa avec l'entrepreneur génois Guillaume Boccanegra un traité
par lequel celui-ci s'engageait à consacrer 5.000 livres tournois
à la construction des remparts d'Aigues-Mortes, moyennant l'abandon
que le Roi lui faisait de la moitié des droits domaniaux auxquels
la ville et le port étaient assujettis.
Les travaux commencèrent aussitôt et furent conduits avec
la plus grande vigueur. Moins de deux ans après, ils étaient interrompus
par suite du décès de Boccanegra dont les héritiers demandèrent
au Roi de rompre les conventions faites avec leur époux et père.
Philippe le Hardi consentit à leur abrogation et, d'après un rapport
du sénéchal de Beaucaire de 1289, on voit qu'il restait encore pas
mal à faire à cette époque. Mais le Roi ayant accepté les conclusions
de ce même rapport, qui conseillait de faire continuer à la tache
les travaux, ceux-ci furent repris et terminés à la fin du siècle.
Les matériaux employés provenaient des carrières qui se trouvent
le long du Rhône, en retrait de Beaucaire. Ils étaient transportés
sur des radeaux en suivant le bras du fleuve qui venait se jeter
à la mer par le Canal-viel, après être passé vers Aiguës-Mortes.
Les dimensions des remparts sont les suivantes : côté sud, 567 mètres;
côté nord, 497 mètres; côté est, 301 mètres et côté ouest,
260 mètres. Leur construction présente une particularité qui est
restée caractéristique du XIIIe siècle: c'est la taille en bossage,
ainsi nommée parce que le centre de la pierre présente des bosses,
au lieu d'être uni comme le pourtour.
On remarque sur chaque moellon, des signes variés, gravés dans la
pierre, que l'on suppose être des marques de tacherons employées
parles ouvriers d'un chantier, afin qu'au règlement de compte leur
travail pût être distingue de celui de leurs compagnons. Pour renforcer
la défense du mur d'enceinte, on l'a flanqué de quinze tours, la
tour de Constance non comprise. Elles sont à cheval sur le rempart,
c'est-à-dire font saillie en dehors ou en dedans de l'enceinte.
On les classe sous trois rubriques distinctes: tours carrées, tours
jumelles et tours d'angle. Dix d'entre elles, ouvertes dans l'axe
des principales rues de la ville, constituent en même temps les
portes de la cité. La hauteur du rempart est de onze mètres, l'épaisseur
de trois mètres à la base et de deux mètres 75 au sommet. La hauteur
des tours est d'environ l8 mètres.
Des escaliers, au nombre de 16, sont distribués par deux, à droite
et à gauche des tours jumelles et des tours d'angle. Ils conduisent
directement au chemin de ronde, espèce de promenade ménagée au sommet
du rempart et faisant le tour de l'enceinte. En commençant la visite
classique, la première tour que l'on rencontre est la tour carrée
dite de Montpellier ou des Remblais. Elle est traversée par le chemin
de ronde qui nous conduit à la tour d'angle sud-ouest, dite des
Bourguignons, dont on connaît la légende, qu'on retrouvera plus
loin. Après la tour des Bourguignons, sur la partie sud, nous traversons
la tour carrée de l'Organeau, dont la porte est appelée du Thieure,
et nous arrivons aux tours jumelles dites : porte des Moulins ou
Porte Neuve. Cette porte était appelée des Moulins parce que, au
début du XIVe siècle, on y avait établi, au sommet, deux
moulins à vent pour moudre le blé des habitants du voisinage.
De la porte des Moulins, on gagne la porte des Galions plus connue
sous le nom de Pourtalet, puis la porte de la Marine, par laquelle
Charles Quint entra dans Aiguës-Mortes lorsque, le 15 juillet 1538,
il vint rendre visite à François 1er. C'est ensuite la tour carrée,
dite porte de l'Arsenal et, à l'angle sud-est, la tour des Pattus
que l'on désigna sous le nom de tour des Poudres ou Poudrière, lorsqu'elle
fut affectée à l'entrepôt des munitions et artifices. Après la tour
de la Reine ou de Peccais, qui domine la face Est, on rencontre
la tour carrée des Cordeliers, du nom d'un couvent fondé par saint
Louis.
Les tours de cette partie du rempart, tours de la Poudrière, de
la Reine, des Cordeliers, ont été le refuge habituel dans les luttes
entre catholiques et protestants ; aussi leurs murs sont-ils criblés
de traces de projectiles, traces légères encore visibles, qui montrent
qu'en ce temps-là on faisait plus de bruit que de mal. A l'angle
nord-est se trouve la tour de Villeneuve, connue aussi sous le nom
de tour des Masques. Sur la face nord, on voit d'abord la tour de
la Mèche, dont le plan est une combinaison de la tour d'angle et
des tours jumelles. Dans sa partie basse, elle est hémisphérique
et fermée au dehors. Plus loin, nous avons les tours jumelles qui
donnent passage à la porte Saint-Antoine, la seule au vocable de
saint. La tour des Sels et des Poissons fait suite son plan est
identique à celui de la tour de la Mèche.
La tour des Sels a servi de prison aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Enfin, la porte de la Gardette ou d'Artois ferme le circuit des
remparts. De même plan que les tours jumelles, elle fut à travers
les siècles la porte militaire d'Aigues-Mortes, la seule où l'on
ait relevé les traces d'un pont-levis. Du milieu du seizième siècle
à la fin du dix-huitième, elle était également la seule par laquelle
on pouvait entrer en ville ou en sortir, pour des raisons plus fiscales
que militaires, les autres ayant été entièrement murées. Elles ne
furent rouvertes que dans le courant du xix" siècle, sauf celle
des Moulins, qui le fut en 1778 lorsque, avec les terres provenant
du creusement du canal de Beaucaire, on chaussa la partie sud des
remparts, du côté de l'étang, pour en faire une esplanade, et que
l'on combla les fossés entourant les trois autres côtés des remparts.
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